(Paru dans le journal Le Temps du 9 mars 2006)
Les particules de suie cancérigènes, l’ozone agressif envers nos poumons, les perspectives d’épuisement des réserves de pétrole et les changements climatiques ont enfin poussé les constructeurs de voitures à développer des moteurs moins gourmands en énergie et plus propres.
L’évolution technologique permet aujourd’hui d’envisager l’utilisation de carburants biologiques, qui émettent moins de CO2, cause principale des changements climatiques.
L’engouement pour ces nouvelles technologies est très positif. Il ne doit toutefois pas faire oublier les limites du système.
En premier lieu, quelque soit la technologie appliquée, il y aura toujours des pollutions résiduelles. Par exemple l’introduction du catalyseur, qui a réduit les émissions d’oxydes d’azote par les voitures de 90 %, n’est pas parvenue à empêcher des dépassements très importants et fréquents du taux d’ozone troposphérique qui attaque nos bronches et nos poumons. De son côté la production de biocarburants consomme presque toujours de l’énergie non renouvelable pour la production du carburant et son transport. Par exemple alco suisse (www.etha-plus.ch) estime qu’il faut 1,36 litre de pétrole brut pour produire 1 litre d’essence, et tout de même encore 0,33 litre pour produire 1 litre d’éthanol à partir des plantes.
Par ailleurs n’oublions pas que le trafic motorisé, même plus propre, ne peut pas croître indéfiniment car il génère bruit et pollution de l’air, occupe beaucoup d’espace, dégrade les paysages et fait courir de graves dangers sur les routes.
Les biocarburants
La production de carburants à partir de matière organique renouvelable fait naître de grands espoirs d’une source renouvelable d’énergie pour nos moteurs. Il s’agit en effet d’énergie solaire stockée dans la matière vivante et transformées en carburant, sous forme de gaz (biogaz) ou de liquide (éthanol, biodiesel). En Suisse on produit du biodiesel a partir de colza et du biogaz à partir de déchets. Et on envisage de produire de l’éthanol à partir de pommes de terre, de céréales, de betteraves et de petit lait. Le but d’alco suisse est de couvrir en 2010 5% des besoins de la Suisse (5% d’éthanol, soit 240'000 tonnes/an, mélangés à 95% d’essence) grâce à 2 usines et à des importations massives d’éthanol.
L’avantage de l’éthanol et du biodiesel est qu’ils peuvent être ajoutés à l’essence et au diesel conventionnels, et utiliser ainsi le même réseau de distribution. La proportion peut être progressivement augmentée, moyennant des adaptations des moteurs au delà de 5% d’éthanol et 10% de biodiesel.
Il en va de même pour le biogaz, produit de la fermentation de déchets organiques, qui peut être introduit dans le réseau de gaz dit naturel.
La situation dans le monde
Le Brésil est devenu le champion dans le domaine du bioéthanol puisque actuellement au Brésil 40% de l’essence est constituée d’éthanol. Aux USA, 10% de l’essence vendue contient 10% d’éthanol. La France vise une production de 1,4 milliards de litres par an en 2010. L’Espagne et l’Allemagne se sont également lancées dans la production de biocarburants (bioéthanol et biodiesel). Certains pays dont la Suisse ont introduit une défiscalisation de biocarburants. La Suède a choisi pour sa part la voie de l’éthanol (blé et bois) en soutenant même les mélanges à 85% d’éthanol (E 85) notamment en subventionnant l’achat des véhicules adaptés à ces taux élevés. La plus grande partie de l’éthanol utilisé en Suède est importé du Brésil. L’Union européenne fait le pari des biocarburants qui devraient couvrir le 5.75% de ses besoins en carburant d’ici 2010.
Les limites de système
La Suisse prévoit de produire son éthanol sur la base de productions agricoles excédentaires ou de résidus de production, sans remettre en question les règles de production agricole écologique. Ce projet ne permettra toutefois de ne couvrir net (consommation d’énergie non renouvelable déduite) que 1% des besoins du pays.
Une étude a montré que pour couvrir un quart des besoins en pétrole de la France par de l’éthanol et du biodiesel, il faudrait utiliser la totalité de la surface agricole du pays.
Sur le plan mondial, une couverture même de quelques pourcents des besoins supposerait d’immenses surfaces de cultures qui seraient forcément prises sur des surfaces forestières ou d’autres surfaces agricoles. Ainsi elle entre en concurrence avec les forêts tropicales, et les cultures vivrières.
Une vaste étude internationale sur les écosystèmes (forêts, zones humides, sols, mers) et les services qu’ils rendent à l’économie et à l’humanité, le « millenium ecosystem assessment » démontre que 60% des écosystèmes sont déjà surexploités
Les forêts tropicales perdent 1% de leur surface chaque année. Rien qu’en 2005 la forêt amazonienne du Brésil a perdu une surface équivalente à celle de la Suisse pour faire place à des cultures, essentiellement du soja. Or ces forêts sont non seulement les terres de populations indigènes, elles recèlent une grande partie de la biodiversité de la planète, jouent un rôle essentiel dans le cycle de l’eau et contribuent à réguler le climat. A Borneo, la plus grande partie des forêts a été détruite pour des plantations de palmiers à huile. Peut-on imaginer poursuivre ce massacre pour produire du biodiesel pour nos camions ?
Des centaines de millions d’êtres humains sont sous alimentés. Les paysans les plus pauvres, sont rejetés sur les terres les moins productives qu’ils contribuent à désertifier, parce qu’ils entrent en concurrence avec des productions agricoles destinées au marché mondial. Est-il concevable de consacrer des millions d’hectares à la production de biocarburants, alors que des millions d’humains meurent de faim ?
Plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas d’accès à de l’eau saine. Or l’agriculture consomme 70% de l’eau douce utilisée. Allons-nous priver les plus pauvres de l’eau dont ils ont vitalement besoin pour produire de la canne à sucre destinée à nos réservoirs d’automobiles ?
Le mélange idéal
Il est clair que la production de carburants biologiques ne pourra couvrir qu’une petite partie de nos besoins. A court terme : 5%, à moyen terme 10%. Au prix d’une compétition pour les terres cultivables et au détriment des forêts.
La production de biocarburants devra être basée essentiellement sur l’utilisation de déchets agricoles, forestiers et urbains, devra provenir d’une culture intégrée, tenir compte des besoins en eau et respecter les écosystèmes. Mais de toutes façons le succès de ces nouveaux carburants ne peut être favorable à l’environnement et au développement durable que si ils sont accompagnés d’autres mesures de réduction de la consommation de carburants.
Par exemple une conduite douce (eco drive) permet d’économiser 10% de carburant sans aucun inconvénient, tout en réduisant la pollution de l’air, le bruit et les risques d’accidents.
L’utilisation des transports publics, ou encore mieux la marche et la bicyclette permettraient sans difficulté de réduire encore davantage notre dépendance du pétrole, tout en améliorant notre santé.
L’aménagement du territoire devrait bien davantage tenir compte des besoins en transports qu’il génère.
Pour consommer moins, l’automobiliste peut aussi choisir une voiture classique légère, équipée d’un moteur économe (voir par exemple les listes publiées sous (www.ate.ch/EcoMobiListe),
L’OMC concernée
Le massacre des forêts, et l’utilisation des terres indispensables aux humains pour produire des biocarburants se poursuivront si nous n’introduisons pas des règles qui permettent de distinguer les modes de production dans les accords sur le commerce international. Aujourd’hui les accords de l’OMC ne permettent pas de distinguer de l’éthanol produit dans des conditions écologiques d’un éthanol produit par culture industrielle, ou sur des surfaces forestières défrichées, ou même à partir de pétrole. Il faut fondamentalement changer la philosophie de l’OMC, et introduire des clauses qui permettent de distinguer les produits en fonction des modes de production, et qui permettent d’interdire l’importation de produits issus de productions non écologiques, ou non durables. La santé et la survie des enfants ne vaut-elle pas quelques restrictions au commerce ?