Election du Conseil fédéral par le peuple
C’est possible !
Philippe Roch
Ancien Secrétaire d’Etat
Je suis frappé par le peu d’imagination de nos politologues qui peinent à présenter une solution nouvelle pour l’élection du Conseil fédéral.
L’élection par le Parlement n’a jamais été remise en question depuis 1847 malgré de nombreux débats et deux initiatives pour une élection du Conseil fédéral par le peuple, rejetées en 1900 et en 1942. Ce qui me frappe chez les politiciens, c’est leur manque de confiance dans le peuple. Pourtant au cours de nombreux scrutins, encore le 30 novembre dernier, le peuple suisse a su opérer des choix subtiles, difficiles, parfois contre l’avis du parlement et du Conseil fédéral.
Un nouveau mode d’élection de notre gouvernement fédéral devrait sauvegarder, voire renforcer les valeurs essentielles de notre système politique. La première est la séparation des pouvoirs, qui n’est pas garantie actuellement, puisque c’est le parlement qui élit chaque membre du gouvernement après s’être assuré que ce dernier lui sera obligé. C’est la raison pour laquelle nous voyons rarement des personnalités fortes, originales et indépendantes bénéficier de cette élection, et lorsque l’une d’elles sort tout de même du lot, elle est éjectée à la prochaine élection. Une élection du Conseil fédéral par le peuple est le seul moyen de garantir une réelle séparation des pouvoirs entre parlement et gouvernement.
La seconde valeur de notre système est la représentation des minorités dans toutes les instances politiques. Bien meilleure qu’un système d’alternance, cette participation des minorités au pouvoir évite que 40% de la population ne soit pas représentée au gouvernement. Elle est gage de civisme, de justice et de stabilité. La troisième vertu est la concordance, ce système qui veut que malgré des origines politiques différentes le gouvernement se montre uni et solidaire, ce qui oblige les majorités à respecter les avis des minorités et à chercher des compromis, ou mieux un consensus. Aujourd’hui cette concordance est artificielle, puisque les membres du gouvernement sont assemblés par le hasard d’une élection individuelle et qu’ils ne se sont pas mutuellement choisis.
Il existe une possibilité d’élection du Conseil fédéral par le peuple qui garantisse mieux qu’aujourd’hui ces trois principes, celle qui consisterait à élire en deux phases une équipe de 7 candidats. Une première phase permettrait à un nombre indéfini d’équipes de se présenter, alors que seules les deux ou les trois mieux élues seraient soumises à l’élection au deuxième tour.
Pour assurer la représentation des régions, et des femmes, il suffirait d’imposer la règle que chaque équipe doit être composée au moins de trois hommes et trois femmes, et au moins de deux alémaniques et deux latins.
Le système lui-même assurerait la représentation des minorités car les équipes qui ne présenteraient que des candidats d’un parti ou d’une tendance politique n’obtiendraient pas la majorité. Ainsi chaque liste aurait tout intérêt à constituer une équipe panachée pour s’attirer les voix de gauche, de droite et du centre. On imagine que dans la composition parlementaire actuelle une équipe constituée d’une personne de la ligne dure de l’UDC, d’une personne de sa ligne traditionnelle, d’une personne pour chacune des tendances radicale-libérale, PDC, et verte et de deux de gauche sortirait gagnante. La constitution de ces listes permettrait à des personnalités de s’assembler par affinité personnelle malgré leur diversité politique et de constituer ainsi une véritable équipe gouvernementale. Le lien des personnes avec les partis serait moins absolu qu’aujourd’hui, et l’on peut imaginer des équipes comportant des personnalités connues du public, occupant des postes à responsabilité dans le monde associatif, économique, scientifique, sportif ou artistique sans qu’elles aient eu préalablement une expérience parlementaire.
Pour être élue chaque équipe devrait élaborer un programme de législature consistant qui recevrait par l’élection la légitimité populaire, alors que les programmes actuels ne sont qu’un assemblage disparate et fade des propositions des offices fédéraux, entérinées sans grande modification par le Conseil fédéral puis par le Parlement.
Enfin ce système permettrait également l’élection par le peuple d’une Présidente ou d’un Président de la Confédération, qui figurerait en tête de liste, pour la durée de la législature. La législature gouvernementale pourrait être rallongée à 6 ou 8 ans. En cas de vacance en cours de législature, il appartiendrait à l’équipe gouvernementale élue de soumettre une ou plusieurs candidatures de remplacement au vote du peuple.
Une telle élection éliminerait les tractations mesquines et les nuits des longs couteaux de nos parlementaires, qui pourraient mieux se consacrer à leur tâche de législateurs, et le gouvernement ainsi élu aurait une légitimité populaire et une cohérence qui renforceraient sa position vis-à-vis du parlement et sa capacité de décision et d’action.