: percée historique du Conseil fédéral
La stratégie du Conseil fédéral marque un changement de paradigme qui rompt avec des décennies d'obsession nucléaire et de dénigrement des énergies renouvelables. On se souvient de la publicité encore récente des électriciens, dans laquelle Köbi Kuhn se faisait moquer parce qu'il ne pouvait recharger sa montre solaire sous la pluie. Dans le projet de loi sur l'énergie en consultation jusqu'à fin janvier, le Conseil fédéral propose l'abandon du nucléaire, une stabilisation de la consommation d'électricité dès 2020, des objectifs ambitieux de réduction de la consommation d'énergie par personne, de - 35 % jusqu'en 2035 et de ? 50% jusqu'en 2050, et la promotion des énergies renouvelables. Elle comporte toutefois encore quelques points faibles et des tentations bureaucratiques : il faudra débarrasser le projet des lourdes procédures qu'il instaure pour appels d'offre (art. 23 ? 27), contingentement du solaire (art. 20), fixation et contrôle d'objectifs des compagnies d'électricité (art. 43 ? 46) et aides financières (art.51 ? 53).
En matière d'économies d'énergie, le projet prévoit un doublement, jusqu'à 600 millions par an, des subventions dans le domaine du bâtiment. Je me méfie de ces subventions qui exigent un important appareil bureaucratique pour une efficacité très faible. Il faudrait leur préférer la défiscalisation des investissements consentis pour l'amélioration énergétique des bâtiments, avec la possibilité de répartir les déductions fiscales sur 5 ans.
Le système de rachat à prix coûtant de l'électricité produite par des sources renouvelables (RPC) est excellent dans son principe. En renchérissant très légèrement le prix de l'électricité, jusqu'à 0,9ct/kWh, il permet d'internaliser partiellement les coûts externes des moyens traditionnels de production (pollution, changements climatiques, déchets nucléaires, atteintes aux paysages), et de favoriser le développement de nouvelles formes de production plus écologiques, plus coûteuses au début de leur développement, mais dont les coûts baissent rapidement avec leur développement. Le projet propose de faire sauter le couvercle qui a été imposé jusqu'à aujourd'hui, et qui a conduit au blocage de plus de vingt mille projets photovoltaïques. C'est pourtant dans le domaine photovoltaïque que la RPC fonctionne le mieux, puisque la multiplication des projets a conduit à une baisse spectaculaire des coûts. L'électricité d'origine solaire coûtait encore 72 centimes le kWh en 2009, et déjà plus que 30 centimes le kWh en 2012, où la rétribution a baissé trois fois, de 8% en début d'année, puis de 10 % au 1 er mars et enfin de 15 % le 1 er octobre. Elle baisse encore de 8% au début 2013. Une installation isolée de plus de 1'000 kW produira dorénavant du courant pour 21,6 ct/kWh, soit à peu près le même prix que le courant éolien, qui lui a augmenté à21,5 ct/kWh. Dans le domaine de l'éolien et de l'hydroélectrique, la RPC fonctionne comme un simple subventionnement, sans espoir d'amélioration technique ni de réduction des coûts. Pourtant le projet de Conseil fédéral prévoit un contingentement des installations solaires au bénéfice de la RPC, alors qu'il laisse le terrain libre pour l'éolien et l'hydroélectrique.
La nature et le paysage sont les grands perdants de notre mode de développement ; il serait paradoxal qu'ils fassent les frais d'une politique énergétique prétendue écologique. Contrairement à ce que propose le projet du Conseil fédéral, il n'y a pas de raison de décréter un intérêt national pour des installations de production d'énergie et de pompage-turbinage (art. 14 et 15). Donner a priori la priorité à certaines installations va rapidement créer une dérive, et favoriser des projets mal préparés et mal justifiés, qui conduiront à d'interminables conflits, et à une opposition grandissante de la population. La pesée des intérêts doit se faire le plus tôt possible, au niveau de l'aménagement du territoire. C'est pourquoi l'obligation d'une planification (art. 11 - 13), à inscrire dans les plans directeurs des cantons, est une base nécessaire pour faire des choix de priorités entre les installations prévues, la protection de la nature et du paysage, et les intérêts des populations concernées.
Le projet ne tient pas compte du fait que les objectifs de stabilisation de la consommation d'électricité peuvent être compromis par un développement incontrôlé de nouvelles consommations d'électricité : le pompage-turbinage, qui consomme 25 % de l'électricité transformée, les pompes à chaleur et les véhicules électriques, pour lesquels des prescriptions d'efficacité devraient être promulguées.
Malgré ces quelques réserves, il faut soutenir sur le fond la politique ambitieuse du Conseil fédéral, qui ouvre d'importantes opportunités dans les domaines de la construction, des installateurs et de nombreuses PME de notre pays. La position négative exprimée par les industriels de Swissmem et Scienceindustries (voir Le Temps du 11 décembre 2012) est donc particulièrement incompréhensible.
Philippe Roch
Les documents soumis à la consultation sont disponibles sur : http://www.bfe.admin.ch/themen/00526/00527/index.html?lang=fr
Article publié dans Le Temps du 15 janvier 2013