Génie génétique, une méfiance rationnelle
Le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, sous la pression des grandes compagnies agroalimentaires, comme Monsanto, s’engage très activement pour éviter toute distinction entre organismes génétiquement modifiés (OGM) et organismes naturels, afin d’empêcher les pays qui ne veulent pas d’OGM d’en interdire l’importation. Derrière cette guerre commerciale se cache une dispute philosophique, scientifique et idéologique autour de la notion de « nature ». Nous faisons partie de la nature, dont nous sommes issus, et à ce titre tout ce que nous faisons peut être considéré comme naturel. Toutefois l’homme occupe une place très particulière dans la nature, étant l’être vivant qui jouit du plus grand degré de liberté, capable de choix entre le bien et le mal, et doué d’une intelligence qui lui permet d’agir consciemment sur la nature, de la modifier, de la manipuler, de l’exploiter et d’en altérer ou même détruire certains éléments comme des espèces et des écosystèmes. Compte-tenu de cette situation particulière de l’homme, j’adopte volontiers la formule de Robert Hainard : « La nature est essentiellement ce que l’homme n’a pas fait, c’est-à-dire la seule chose qui puisse nous enrichir».La législation suisse sur le génie génétique dans le domaine non humain adopte la même conception, en faisant la différence entre ce qui se produit naturellement et ce qui sort des mains de l’homme : « Par organisme génétiquement modifié, on entend tout organisme dont le matériel génétique a subi une modification qui ne se produit pas naturellement, ni par multiplication, ni par recombinaison naturelle. »[1]
Qu’est-ce qu’un OGM ?[2]
Les gènes sont les livres d’une immense bibliothèque qui détermine les caractéristiques propres à chaque individu vivant. Chacun de nous possède sa propre bibliothèque, entière dans le noyau de chacune de ses cellules. Les cellules lisent ces livres pour fabriquer, entretenir, faire vivre et défendre notre corps, y compris notre cerveau. Les cinq lettres avec lesquelles ces livres sont écrits sont les mêmes dans tout le monde vivant : la vie dans toute sa diversité ne connaît qu’une seule langue. Pour éviter que l’infinité de phrases que ces lettres peuvent écrire ne conduise à une langue incompréhensible et au chaos, la vie a inventé des mécanismes de sélection, de contrôle et de protection de ce système, grâce auxquels il n’y au monde qu’une seule personne comme vous, et qu’il est assez rare, reconnaissons-le, que des branches poussent dans les oreilles d’un être humain, qu’un cheval, encore moins une rose, se mettent à parler, que les chiens fassent des chats, ou que des oranges mûrissent sur des chênes. En général deux espèces ne se croisent pas dans la nature. Cette caractéristique a même longtemps servi de définition au concept d’espèce. Dans la nature des organismes peuvent recevoir un livre, ou quelques pages d’un autre organisme, par l’intermédiaire de virus ou de bactéries, mais des mécanismes de protection font que cela ne change en général pas le fonctionnement, encore moins la nature de l’organisme receveur. Dans la nature il est très rare qu’une mutation génétique, ou qu’un transfert de gène, traverse tous les mécanismes de protection de l’organisme receveur : et lorsque cela se produit tout-de-même, cette mutation, dans la plupart des cas, fait mourir l’organisme receveur, ou elle ne s’exprime pas. C’est ainsi qu’au cours de l’évolution les emprunts de livres et les transferts de paragraphes n’ont pas créé le chaos, mais ont au contraire conduit à une différenciation et une multiplication d’espèces de plus en plus nombreuses, bien séparées les unes des autres, démontrant que la vie est bien davantage qu’une simple mécanique ; elle est beaucoup plus complexe que ce que les scientifiques, malgré leurs compétences remarquables, ont été capables de comprendre à ce jour. C’est ce système que le génie génétique transgresse. Il permet d’introduire de force dans un organisme un ou des gènes d’un autre organisme, même des gènes de plantes dans un animal et vice-versa.
Pour quel usage ?
Les plus nombreuses utilisations d’organismes génétiquement modifiés sont confinées à des laboratoires et des usines. On utilise des organismes simples, comme des bactéries, des cellules ou même des morceaux d’ADN, isolés de leur milieu naturel, pour produire une substance pure, par exemple de l’insuline. Le produit est pur, plus facile à produire que par les méthodes chimiques, et les organismes qui l’ont produit sont détruits après usage. Pour autant que l’opération soit suffisamment contrôlée, il n’y a pas de contact avec l’extérieur. La situation est plus délicate avec des expériences en laboratoire sur des bactéries et des virus qui pourraient de révéler hautement pathogènes et s’échapper dans la nature.
Le problème est tout différent lorsqu’on modifie un organisme dans le but de le multiplier et de le cultiver ou de l’élever dans l’environnement. Les plus fréquents organismes utilisés actuellement sont le soja, le maïs, le coton et le colza modifiés pour supporter des herbicides ou pour résister à des ravageurs comme la pyrale du maïs ou le ver de la capsule du cotonnier. On nous promet toujours la plante miracle qui poussera dans le désert, ou dans l’eau salée, pour nourrir tous les pauvres du monde, mais pour l’instant on utilise les OGM pour une agriculture intensive au profit des géants de l’agroalimentaire, pour laquelle on défriche les dernières forêts primaires, on chasse les petits paysans de leurs terres traditionnelles, et on pollue les sols avec des herbicides et des engrais. On se prépare à élever des vaches génétiquement modifiées pour obtenir du lait thérapeutique, ou des pommes de terre pour produire de l’amidon industriel. Ce n’est pas comme cela que les plus pauvres pourront se nourrir.
Des dangers bien réels
La dissémination d’organisme génétiquement modifiés dans l’environnement comporte toute une série de dangers qui pourraient échapper au contrôle des apprentis sorciers qui les auront créés[3]. Les dangers les plus évidents sont l’utilisation systématique d’herbicides dans les cultures d’OGM, l’apparition de résistances aux maladies, la transmission de caractéristiques indésirables à d’autres plantes de la même famille, la contamination de plantes sauvages et du miel, la toxicité envers des insectes utiles, l’apparition de caractères nouveaux, dominants ou récessifs chez des plantes sauvages, capables de modifier les équilibres dans les écosystèmes.
Un autre type de dangers provient de la mainmise sur les semences par les grandes compagnies agroalimentaires. En Inde des milliers de petits paysans devenus dépendants de ces compagnies ont été ruinés, et nombreux se sont suicidés par désespoir.
La prudence de la population suisse qui a voté un moratoire sur l’utilisation d’OGM en plein champ est donc parfaitement rationnelle.
Le domaine de l’humain
L’utilisation du génie génétique dans le domaine humain comporte d’autres risques et touche à des questions morales difficiles à résoudre.
On projette de faire produire des organes par des animaux, par exemple des porcs, chez lesquels on aura introduit des gènes humains, pour les rendre transplantables. La frontière entre le porc et l’homme, déjà ténue, risque de disparaître complètement !
Depuis que l’on pratique la procréation assistée, pour pallier la stérilité de certains couples, des scientifiques ont commencé à imaginer que l’on pourrait sélectionner dans leurs éprouvettes les embryons les plus sains, afin d’éviter la transmission de maladies génétiques et d’éliminer les candidats à une malformation ou un handicap. De là à choisir la couleur des yeux, la forme de la tête et d’autres caractéristiques à la mode, il n’y a qu’un pas, que les transhumanistes, qui rêvent d’une humanité maîtrisée, supérieure et immortelle franchiront sans hésiter.
La sélection et la manipulation d’embryons pour obtenir des enfants exempts de maladies, puis, inévitablement, des enfants sur mesure, correspondant le mieux possible aux modèles adulés dans nos journaux et sur nos écrans, sont hautement dangereuses et immorales ; dangereuses parce que la poursuite d’un idéal humain purement matériel sera toujours déçue, et qu’elle conduira à d’énormes souffrances pour les enfants qui ne correspondront pas exactement à ce qu’attendaient leur parents manipulateurs ; immoral parce qu’elles présupposent que toute malformation, tout handicap, toute difficulté est une ratage intolérable, et qu’elles conduiront à abandonner sur le bord du chemin toutes les personnes, qui comme moi, sont imparfaites. Comme de plus en plus de généticiens pensent à tort que la plupart des maladies sont déterminées génétiquement, la recherche de la perfection se noiera dans une foire de manipulations, qui finiront par créer deux catégories d’humains : des monstres et des gens malheureux.
Le mythe de la science toute puissante
Le problème de la génétique, c’est qu’elle a gonflé l’orgueil d’un certain nombre de scientifiques qui ont fini par se prendre pour Dieu. L’un des pionniers de cette science, Jacques Monod, n’écrivait-il pas : « L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. » La science expérimentale est une méthode remarquable pour comprendre comment fonctionnent les lois de la nature, et les utiliser pour le développement de techniques au profit de l’humanité. Mais la science n’explique qu’une toute petite partie de la réalité matérielle, et encore, très approximativement. La plus grande partie du monde matériel lui échappe, et la totalité du monde spirituel : elle n’expliquera jamais l’origine ni la destinée de toutes choses, et encore moins le sens de la vie.
La foi dans un savoir scientifique total, et dans la toute puissance de la science, est aussi irrationnelle que la croyance dans l’astrologie de pacotille de Madame Soleil.
[1]Loi fédérale sur l’application du génie génétique au domaine non humain, art 5, al 2, 2003
[2]Pour un exposé plus complet sur le génie génétique dans le domaine non humain voir :Jacques Neirynck et Philippe Roch, OGM, pour ou contre ? Le débat, Jouvence, 2010
[3]Voir de nombreux exemple sur le site : http://www.blauen-institut.ch/pg_blu/pg/pg12/a_gf.html