Hommage à Robert Hainard ,
artiste, naturaliste et philosophe genevois
Par Philippe Roch
Le nom de Robert Hainard porte l'odeur du bois, celui de ses sculptures et des planches de poiriers sur lesquelles il gravait chaque couleur de ses estampes, celui de la maison de Bernex encore si imprégnée du couple Robert et Germaine Hainard, que l'on s'attend à les voir paraître dans l'embrasure de la porte de l'atelier ou de la cuisine, celui des forêts où il a passé des milliers d'heures à l'affût des bêtes sauvages au clair de lune.
Il a marqué par sa personnalité complète d'homme de terrain, d'artisan et d'intellectuel critique. Le charme irrésistible qu'il a exercé sur des générations de jeunes naturalistes vient de cet équilibre entre tension et douceur, entre passion et raison, entre observation et action, entre humain et sauvage si bien décrit dans le geste du sculpteur qu'il a été avant toute chose : « La main droite du sculpteur pousse l'outil dans le bois, la main gauche le retient…Nous ne devons pas être des brutes rationnelles et techniques, pesant aveuglément sur les choses et comptant sur leur résistance mais porter l'équilibre en nous-mêmes. »
Robert Hainard a passé un nombre incalculable de nuits à l'affût des animaux sauvages, un peu partout en Europe avec deux incursions en Afrique et une en Asie, mais surtout près de chez lui, au bord du Rhône, dans le Nant des Crues ou sur le Jura gessien. Il a non seulement été un conteur délicieux de ses rencontres sauvages, mais il a décrit avec précision les caractéristiques, les mœurs et l'écologie de très nombreuses espèces de plantes et d'animaux. Son ouvrage « les mammifères sauvages d'Europe » fait autorité dans le domaine depuis plusieurs décennies et n'a jamais été égalé.
L'artiste a fixé ses moments d'intimité avec la nature dans plus de 30'000 croquis de terrain qui forment la mémoire à partir de laquelle il a façonné ses sculptures et préparé les planches de poirier ou de buis comme des bas reliefs, dont chacune allait sous la presse donner une couleur en dégradé qui sont l'originalité de ses estampes. On peut voir une parenté avec les estampes japonaises, mais il se dit plus proche dans son style des peintres paléolithiques. Robert Hainard saisit un moment, le mouvement de l'animal (il va jusqu'à sentir le mouvement de l'animal dans ses propres muscles), et le milieu dans lequel la scène se déroule et il parvient à rendre cette atmosphère dans ses estampes.
Critique de la croissance
Et la nature ? Le titre de son livre paru en 1943 donne le ton. Sans la nature l'homme n'est rien. La nature est le complément indispensable, l'autre qui nous permet de nous situer, de nous définir. Pour Robert Hainard, la personnalité, le bonheur se construisent par l'effort et l'échange. « Un monde qui nous résiste, nous limite mais nous répond et nous soutient, nous nourrit et nous féconde … Je souhaite que l'homme reste, ou redevienne, une créature parmi les autres, et non le tyran de la Création ».
« Au cours de sa vie, la grenouille a un ou deux milliers d'œufs, dont deux aboutiront à des individus reproducteurs… Une expansion démographique indéfinie est impossible. Une vie doit remplacer une mort, c'est la règle fondamentale qui ne souffre que de brèves dérogations.…Est-il sensé, pour maintenir pendant quelques générations un excédent démographique, de sacrifier (si c'était possible) toute vie sauvage, de défricher la Terre
entière, de supprimer toute liberté, tout amour (car pas de liberté sans espace, ni d'amour sans choix) pour nous heurter bientôt, de toute manière, au bilan implacable : une vie pour une mort – eût-on défriché l'Amazonie, irrigué le Sahara, le désert de Gobi, urbanisé l'Antarctique ? Le pire fléau pour une espère est la surpopulation.». Le récent ouvrage de Jared Diamond, Effondrement, lui donne raison en confirmant que bien des civilisations ont disparu parce que leur population a crû au delà de la capacité de leur milieu à les nourrir.
La vision de Robert Hainard consiste en une société humaine hautement civilisée et diversifiée, qui, grâce à des technologies de pointe, occupe peu d'espace dans une vaste nature sauvage. La position critique de Robert Hainard vis-à-vis de l'idéologie de la croissance ne l'empêche pas d'être résolument moderne et favorable au progrès technique qui peut détendre la pression que l'humanité fait peser sur la nature sauvage. Le monde actuel allant exactement dans le sens opposé, Robert Hainard se voit lui-même comme « un blaireau tombé parmi les hommes et les considérant avec étonnement ».
Pour découvrir son œuvre :
www.hainard.ch
Deux nouveaux livres :
- Robert Hainard, chasseur au crayon par Stéphan Carbonnaux, Ed Hesse, 2006
- Cent ans de nature à Genève par Gilles Muhlhauser , avec images et citations de Robert Hainard, Ed Slatkine, 2006