Les célébrations qui s’annoncent pour le 600e anniversaire de la naissance de Nicolas de Flüe (1417-1487) témoignent de l’influence que le saint n’a cessé d’exercer en son temps et jusqu’à aujourd’hui. Il est un cas rare d’ermite consulté sur des questions politiques par des visiteurs venus de toute l’Europe. Son conseil donné à la Diète de Stans en 1481 a scellé la paix entre villes et cantons d’une Suisse en devenir, comme l’attestent deux lettres des Conseils de Berne et de Soleure qui le remercient pour son intervention. Sa force spirituelle a été régulièrement sollicitée aux moments forts de l’histoire suisse, en particulier dans le contexte des deux guerres mondiales.
Comment peut-on comprendre l’efficacité politique d’un ascète retranché au fond d’un vallon sauvage ? Son influence considérable ne s’explique ni par l’action, ni même par la parole, mais par la profondeur et la force d’une pratique spirituelle chrétienne enrichie des traditions germanique et celtique encore très présentes en Suisse centrale à son époque, comme le montrent la patte d’ours et le dieu Wotan de ses songes, le pèlerinage initiatique qu’il a voulu effectuer aux débuts de sa retraite, et la crosse du druide qu’il tient sur la peinture murale de Sarnen datée de 1543.
Nicolas l’ascète, le druide, le sâdhu, le père du désert, le derviche, proche parent des chamanes des peuples premiers et des grands mystiques des civilisations indoeuropéennes et d’Orient, est un saint universel. Il agit par la puissance spirituelle d’un esprit connecté à l’âme du monde. Son message de paix, de respect, de bienveillance, d’amour et de justice ne prend son plein sens et ne gagne son efficacité que dans sa vie d’ascète et les valeurs qu’il a incarnées, la sobriété, l’humilité, l’émerveillement devant la Création, la confiance et la gratitude.
Je ne pense pas que Nicolas soit très heureux de voir sa statue déambuler dans des cortèges portant haut des croix et des bannières, ni d’assister aux discours de politiques qui tentent de s’approprier son image pour justifier des positions de rupture et d’enfermement, et s’assurer leur prochaine élection. Si vous avez une envie sincère de communier avec le grand saint et de devenir avec lui des instruments de paix, le meilleur moyen est de vous préparer par la méditation de sa sagesse, puis de vous rendre en pèlerinage solitaire ou en petit groupe, dans le silence et la discrétion, vers son émouvante cellule et au bord de la Melchaa, où coule encore l’esprit de Nicolas dans son écrin de nature.