Philippe Roch, directeur de l'OFEFP, souhaite que l'on prenne davantage en compte les aspects non économiques de la mondialisation. Celle-ci doit également intégrer les questions sociales et environnementales. Pour que le processus de mondialisation se fasse de manière équilibrée, il faut faire davantage d'efforts dans les domaines du commerce, de la chimie, du climat, de l'eau, de la biodiversité et de la sécurité biologique.
Les tensions politiques, les guerres, les migrations, la pauvreté, la destruction de la nature ne sont pas dues au hasard, mais à des déséquilibres en grande partie générés par les êtres humains eux-mêmes.
Plus d'un milliard et demi d'êtres humains n'ont pas accès à de l'eau propre, et les bases d'existence des plus pauvres se détériorent constamment. Chaque année, 10 millions d'hectares de terres irriguées doivent être abandonnés et plus de 12 millions d'hectares de forêts sont détruites seulement sous les tropiques. Quelque 24% des mammifères vivants sont gravement menacés de disparition. De nombreuses terres sont en voie de désertification, privant des populations entières de tout espoir de développement.
Le processus de mondialisation tel qu'il se déroule actuellement ne peut pas résoudre ces problèmes. Il comporte au contraire de graves dangers pour l'environnement de la planète, pour la sécurité et pour le développement, parce qu'il est incomplet et qu'il conduit à la domination d'un système économique et politique sur tous les autres.
Equilibre dynamique fondé sur la diversité
Or la nature nous donne un modèle de mondialisation, de globalisation qui a survécu pendant des millions d'années sans se détruire, sans faire faillite, en produisant une quantité inimaginable de biens et une infinie diversité. Au cours de l'évolution, chaque fois qu'une espèce s'est multipliée au point de dominer les autres, elle a subi des revers catastrophiques - tels que famines ou épidémies - qui ont ramené sa population à un niveau raisonnable.
Construite sur des éléments biochimiques simples communs à tous les êtres vivants, la nature s'est diversifiée infiniment, créant toutes les variations possibles de formes et de couleurs dans une grande communauté vivante dont tous les membres dépendent les uns des autres.
Le prédateur dépend de la disponibilité des proies pour survivre, mais les proies dépendent de la présence des prédateurs pour que leurs populations restent en bonne santé et en nombre raisonnable. Dans la nature, personne ne domine l'autre, mais tous dépendent les uns des autres, dans un équilibre dynamique fondé sur la diversité.
Principes de respect
Pour atteindre des objectifs de développement, de paix et de sécurité, la mondialisation devrait s'inspirer de la nature, et reposer sur quelques principes simples de respect et de solidarité:
- Le respect de tous les groupes humains , dans la diversité de leurs cultures et de leurs économies, qui se sont développées en liaison étroite avec leur environnement.
- Le respect de la nature et de l'environnement , qui constituent la maison dont nous dépendons totalement, malgré l'illusion de puissance et d'indépendance que peuvent faire naître notre capacité industrielle et notre arrogance.
- Le principe de précaution , qui veut que l'on ne développe un produit ou une activité qu'après avoir dûment vérifié ses impacts potentiels et pris toutes les mesures pour éviter des dégâts à l'environnement.
- Le principe de responsabilité , qui fait aussi porter les risques à ceux qui mettent sur le marché un produit dangereux ou qui exercent des activités potentiellement nuisibles pour l'environnement. Ce principe prévoit que le pollueur paye les dégâts éventuels. Il incite les Etats et les individus à prendre leurs responsabilités pour prévenir des dommages à l'environnement.
- Le respect des limites , par l'adoption de modes de production et de consommation compatibles avec la capacité écologique de la Planète ainsi que par une politique de développement visant à stabiliser voire réduire la population mondiale, grâce à des programmes d'éducation et de santé notamment.
Un rééquilibrage de la mondialisation
La mondialisation d'un seul système économique est vouée à l'échec. La mondialisation doit stimuler le développement au sein de tous les systèmes, les mettre en synergie par des échanges ouverts mais équilibrés.
De plus, la mondialisation économique doit s'inscrire dans une mondialisation globale qui inclue la mise en valeur de la diversité des cultures, de la diversité de la nature, de la protection de l'environnement, de la lutte contre la pauvreté et de la promotion des valeurs éthiques. A l'occasion de la Journée mondiale de l'environnement, j'aimerais définir cinq priorités d'action concrète dans le domaine de l'environnement pour contribuer à un rééquilibrage de la mondialisation :
- Commerce et environnement : Les systèmes commerciaux et environnementaux devraient bénéficier du même poids, se respecter et se soutenir mutuellement. C'est le but que la Suisse poursuit dans le cadre des discussions menées au sein de l'OMC pour définir, d'ici à la fin 2004, le lien entre les réglementations commerciales et les accords multilatéraux environnementaux. Dans le domaine de la production de marchandises, il est essentiel que la délocalisation de la production dans un pays aux normes environnementales moins élevées et donc aux conditions de production moins coûteuses ne soit plus attractive. La mondialisation peut jouer ici un rôle important : si elle aboutit à l'établissement de conditions de production équivalentes en ce qui concerne l'environnement, elle peut mettre fin au dumping environnemental.
- Après l'adoption de trois conventions dans le domaine des produits chimiques (Bâle, Stockholm et Rotterdam), il faut garantir une parfaite coordination entre ces conventions, développer de nouveaux accords sur les métaux lourds et les perturbateurs hormonaux et engager davantage la responsabilité des producteurs de produits chimiques face aux risques encourus par la santé et l'environnement.
- Afin de ralentir et de stabiliser les changements climatiques , il faut ratifier et mettre en œuvre rapidement le Protocole de Kyoto, et mettre en chantier un nouveau protocole plus ambitieux pour les années après 2012.
- Dans le domaine de l'eau , il faut réduire les gaspillages, dans l'agriculture en particulier. L'approvisionnement en eau de qualité, en quantité suffisante, doit être assuré par une protection des écosystèmes qui captent, filtrent, stockent et redistribuent l'eau, comme les forêts, les zones humides et les sols gérés correctement.
- Pour conserver la vie dans toute sa diversité , il faut créer des zones protégées et exploiter les autres espaces naturels de manière durable, en mettant en valeur les avantages économiques de la diversité biologique, notamment dans les domaines du tourisme, de la pharmacologie, de l'agriculture, de l'approvisionnement en eau et de l'équilibre général de la Planète. Les populations qui conservent et gèrent durablement les forêts et les autres milieux naturels doivent recevoir une compensation pour les services qu'elles rendent dans l'intérêt général.
Finalement, la Suisse est - lors de la Journée internationale de l'environnement - fière de pouvoir mettre à disposition à Genève les infrastructures appropriées pour accueillir de nombreuses organisations internationales actives dans le domaine de l'environnement et du développement. S'y ajoutent les missions diplomatiques de 134 pays, dont la contribution est précieuse et indispensable. La Suisse est prête à continuer à offrir les infrastructures nécessaires au maintien et au renforcement des organisations internationales à Genève, afin d'optimaliser leur collaboration et les synergies entre elles.