La crise de l’eau
Le PNUD néglige la valeur des écosystèmes
Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) vient de publier son rapport sur le développement humain[i], principalement consacré cette année à la question de l’eau. Selon ce rapport, 17% de l’humanité n’a pas d’accès à de l’eau propre, et 2,6 milliards ne disposent pas d’assainissement, c’est-à-dire de toilettes et d’épuration. 5'000 enfants meurent chaque jour, contaminés par de l’eau insalubre.
Il y a pourtant beaucoup d’eau douce sur la terre. Le soleil évapore chaque année 577’000 km3 d’eau, dont 44'000 milliards de m3 retombent sur les terres émergées, à disposition des humains, soit en moyenne 6,9 millions de litres par personne et par année. Mais l’eau est inégalement répartie et surtout elle est gaspillée et polluée, même dans les régions où elle est rare.
Dans le monde, la plus grande partie de l’eau douce est utilisée pour l’agriculture (80%), même dans des régions arides, souvent pour des cultures inappropriées. C’est par exemple la culture du coton en Asie centrale qui est la cause de la quasi disparition de la mer d’Aral . L’industrie consomme 10% de cette eau et finalement, les humains ne consomment directement que 9% de l’eau douce pour la boisson, l’hygiène et le ménage (13 % en Suisse).
Le PNUD a raison de mener campagne pour l’eau, car nous avons les moyens de résoudre cette crise.
Malheureusement le PNUD n’arrivera pas à ses fins car il oublie le facteur le plus important d’une gestion durable de l’eau : les écosystèmes. Les pluies qui viennent de tomber au Nord du Kenya devraient être une bénédiction pour cette région aride, qui était au bord de la famine à cause de la sécheresse. Au contraire elles provoquent des inondations, le déplacement de milliers de personnes et causent de nombreuses victimes. En bien d’autres endroits la coupe des forêts et la surexploitation des sols a transformé les bienfaits de la pluie en drames humains. Lorsque le sol est dénudé, stérile, la pluie s’écoule rapidement en entraînant la couche superficielle du sol. Elle provoque des inondations et stérilise pour longtemps les sols touchés.
Mais lorsque la pluie tombe sur un sol naturel, vivant, comme une forêt, un marais ou une prairie, elle est captée, filtrée, stockée et redistribuée en douceur
Une condition essentielle pour assurer le cycle de l’eau est la conservation et l’entretien des écosystèmes qui permettent de recharger les aquifères (sources, rivières, nappes souterraines) en eau propre. De nombreux exemples montrent à quel point les écosystèmes naturels sont indispensables à la production d’eau propre, et aussi quelle est leur valeur économique.
Au Nigeria, les cultures traditionnelles dans les marais de Hadejia Nguru permettent de produire une valeur de 12$ par m3 d’eau utilisée, alors que la production dans des systèmes d’irrigation artificiels ne produit que 0,04$ de riz par m3 d’eau utilisée. Au Costa Rica la ville d’Heredia a inclus dans son tarif de l’eau une taxe pour payer 30 à 50$ par hectare et par an aux paysans dans le bassin versant des sources pour qu’ils gèrent les sols de manière écologique.
90% de l’eau qui alimente New York provient des Catskill mountains dans le Delaware. La production est entièrement naturelle, protégée par des forêts et par une exploitation agricole extensive, subventionnée par le prix de l’eau. Le coût de cette gestion naturelle est 7 fois inférieur au coût que nécessiterait une filtration. La ville de Bâle approvisionne 166'000 habitants par une recharge de sa nappe phréatique en filtrant l’eau du Rhin sur un sol forestier.
Dans le canton d’Uri, une zone humide de 35 hectares, et la forêt située au-dessus de la ville d’Altdorf fournissent les ¾ des besoins des habitants avec une eau de source parfaitement pure qui n’a besoin d’aucun traitement. L’entreprise d’eau minérale Henniez a planté en 20 ans 70'000 arbres, créant une forêt de 200 hectares pour protéger ses sources. On estime que la forêt permet d’économiser en Suisse chaque année plus de 80 millions de francs de traitement de l’eau potable.
Aucune évaluation crédible de la valeur économique des écosystèmes pour la production d’eau douce n’est disponible. Mais une extrapolation de cas connus conduit à des chiffres dépassant les milliers de milliards de dollars par an. Or ces chiffres ne figurent nulle part dans les calculs économiques classiques.
Le rapport du PNUD évoque ces questions, mais il ne leur consacre que 14 lignes et un encadré dans un rapport de 260 pages. Il reflète une triste réalité : les spécialistes du développement n’ont pas encore suffisamment intégré la valeur des écosystèmes et la nécessité de les protéger dans leurs plans d’action.
Il y a assez d’eau si on la gère avec modération et qu’on la partage avec justice. Mais pour garantir une gestion durable des ressources en eau, il faut protéger les écosystèmes qui assurent le captage, la filtration et la redistribution de l’eau et reconnaître leur grande valeur économique.
[i]Le rapport du PNUD contient une foule de données très intéressantes. On le trouve en version intégrale sous http://www.undp.org