Écologie: le temps des valeurs
Lorsque Wangari Maathai a reçu le prix Nobel de la paix parce qu’elle plante des arbres et lutte contre les sacs en plastique en Afrique, cela a été un choc pour beaucoup, et une évidence pour nous: la paix, la sécurité et le développement sont menacés par la dégradation de l’en- vironnement.
Les études rassemblées par le « Millenium ecosystem assessment » démontrent trois choses:
- L’humanité dépend de la nature pour sa survie.
- Les ressources de la nature sont d’une inestimable et irremplaçable valeur pour nos économies.
- La population croissante et l’indus- trialisation de nos modes de vie demandent de plus en plus de ressources naturelles, alors que ces ressources, sous l’effet d’une surexploitation et d’une destruction des écosystèmes qui les produisent, diminuent.
Ce que l’on est en train de faire subir à la Planète est un gaspillage insensé, une destruction des bases de la vie et une insulte au Créateur.
« Nous venons de la Nature, nous vivons de la Nature, nous retournerons à la Nature. »
L’idéologie de la croissance
Les protecteurs de l’environnement sont souvent traités d’idéologues. Pourtant l’écologie politique se base sur l’ob- servation scientifique. Elle est elle-même une démarche scientifique, puisqu’elle détermine ses actions en fonction de constats scientifiques (les rapports de l’IPCC sur les changements climatiques), d’une définition d’objectifs définis sur la base de connaissances scientifiques (la stabilisation de la teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre), et qu’elle en contrôle les effets par des analyses scientifiques (rapports nationaux et rapports de l’IPCC).
Il en va tout autrement de l’idéologie de la croissance, qui domine actuellement la politique nationale et la politique mondiale, et dont l’analyse scientifique la plus élémentaire démontre l’absurdité. Aucun système ne peut croître indéfiniment dans un monde fini. « Le monde est plein » (Robert Hainard), c’est-à-dire que chaque élément de croissance prend la place d’un espace, d’une espèce, d’une liberté. Il y aura une fin à la croissance globale de la population humaine et de ses activités économiques, une fin d’autant plus brutale que non seulement nous ne l’aurons pas prévue, mais que nous aurons accéléré le phénomène au fur et à mesure qu’il touche à sa fin.
« Celui qui croit qu’une croissance infinie est possible dans un monde limité est un fou… ou un économiste. » (Nicholas Georgescu-Roegen)
Seule peut nous sortir de cette ornière une politique de gestion écologique des ressources, de répartition sociale des responsabilités et des profits, et le respect de la nature et des cultures dans leur plus grande diversité.
Mammon
Les explorateurs et les colonisateurs ont révélé au monde occidental effrayé que des civilisations pratiquaient des sacrifices humains. Cette réalité a permis de justifier tous les moyens de convertir ces « peuples primitifs » en « chrétiens civilisés ». Combien de tueries ont-elles été organisées sous ce fallacieux prétexte?
Mais c’est notre civilisation industrielle qui, de toute l’histoire, connaît le plus de sacrifices humains: des millions de morts offerts au dieu de l’automobile (accidents et pollution), des millions de morts, affamés, sacrifiés au dieu du commerce international, des millions de morts, surtout des enfants, tués par de l’eau impropre à la consommation, sacrifiés sur l’autel du profit à court terme (destruction des écosystèmes naturels).
La société occidentale s’est écartée du christianisme dont elle se réclame, et elle s’est tournée vers le Veau d’or et Mammon, dieux de l’enrichissement matériel, de la consommation et de tous les abus.
« Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. » (Matthieu 6,24)
Écologie: trois périodes majeures
L’écologie politique est en évolution. Après le temps des mises en garde et le temps de l’intégration doit venir le temps des valeurs.
Le temps des mises en garde
La première période a été celle des grandes mises en garde contre la dégradation et l’empoisonnement de la nature. Destruction des forêts (déjà au XIXe siècle en Suisse, et à grande échelle aujourd’hui dans le bassin du Congo et en Amazonie), mise en évidence de la disparition des espèces (création de l’UICN en 1948 et du WWF en 1961), des dangers de la chimie (le printemps silencieux de Rachel Carson) et des risques des changements climatiques (première conférence internationale sur le climat à Genève en 1989). Ces cris d’alarme ont conduit à la mise en place de politiques environnementales, à la création des ministères de l’environnement, à l’adoption de plus de 500 traités internationaux et de législations nationales dans le domaine de l’environnement.
Le temps de l’intégration
La Conférence de Rio de Janeiro (1992) a consacré la notion du développement durable, développée par l’UICN et le WWF, puis par la Commission Brundtland. L’idée essentielle du développement durable est une intégration des politiques économiques, sociales et environnementales, en vue d’assurer la pérennité ou le renouvellement des ressources naturelles. Le développement durable requiert:
- d’intégrer la protection de l’environnement dans les activités économiques comme l’industrie, l’agriculture, le tourisme et les transports, afin qu’elles ne détruisent pas les ressources sur lesquelles elles reposent (pollutions, érosion des sols, dégradation des paysages);
- d’utiliser les instruments économiques pour rendre les politiques environnementales plus efficaces et moins coûteuses. Cette phase a vu le développement d’instru- ments économiques, comme la taxe sur les hydrocarbures volatils, les taxes préalables d’élimination, les instruments de flexibilité du Protocole de Kyoto, les accords volontaires avec les branches économiques, le soutien au développement des technologies environnementales;
- de tenir compte des besoins des populations dans l’éla- boration des politiques environnementales, afin de respecter les pratiques ancestrales qui ont ménagé l’envi- ronnement et d’obtenir l’adhésion des populations aux politiques de gestion durable de leurs ressources.
Le temps des valeurs
La défense de l’environnement est à la fois une nécessité économique, une action de solidarité sociale et l’expres- sion de notre relation spirituelle au monde. Il n’est donc pas étonnant qu’elle dérange, tout particulièrement celles et ceux qui se sont fixé des objectifs matériels sectoriels et à court terme.
La conscience environnementale nous oblige à prendre en considération, dans chacune de nos décisions, les origines, les relations et les conséquences de nos actes sur l’ensemble.
« Nous ne sommes qu’une expression momentanée et locale d’un grand tout qui nous dépasse. »
Nous pouvons construire une politique de l’environne- ment purement matérialiste, basée sur l’étude de la nature, et dont l’objectif est de satisfaire les besoins de l’humanité sans détruire le substrat dont elle dépend. Cette politique peut même prendre en considération les besoins plus difficiles à quantifier matériellement, tels que la joie d’ob- server la nature, le plaisir de vivre au contact d’un monde riche et diversifié, l’inspiration que nous apportent le vent, le soleil, les fleurs, les oiseaux.
Mais il me semble difficile de construire une civilisation écologique durable, qui résiste aux assauts d’intérêts égoïstes, gaspilleurs, destructeurs, si nous ne sommes pas profondément imprégnés d’une conscience de l’univers, de la création, de la nature, qui nous dépassent et dont nous ne sommes qu’un élément, certes vif, imaginatif, intelligent, mais tout de même très limité, surtout quant aux questions de l’origine et de la fin de toute chose.
« Il y a une réalité qui nous dépasse et qui nous dépassera quels que soient les progrès de la science, avec laquelle nous pouvons être en contact spirituel. »
La spiritualité nous ouvre au respect de cette réalité qui nous dépasse, et qui s’exprime sous les formes les plus variées que nous trouvons dans la nature et dans l’univers. La parenté entre tous les éléments de la création nous invite au respect, à la frugalité, à la curiosité, à l’humilité, à la tolérance, à la compassion, à la responsabilité, à la volonté de vivre ensemble, en harmonie.
Le scénario apocalyptique
L’observation de l’évolution des rapports entre l’humanité et la Nature nous permet d’envisager deux scénarios extrêmes, l’un apocalyptique, l’autre optimiste.
Dans le scénario apocalyptique, l’humanité se montre incapable de modifier son évolution actuelle: les Chinois ont 500 millions de voitures, les Africains, les Brésiliens et les Indonésiens ont détruit leurs forêts tropicales pour gagner des terres agricoles, les élevages de fruits de mer ont détruit les mangroves et infecté les derniers bancs de poissons sauvages, les grandes cultures ne peuvent plus être régénérées par les plantes sauvages qui ont disparu, et le génie génétique crée davantage de monstres envahisseurs et destructeurs que de plantes utiles. L’augmentation de la population mondiale, l’érosion des terres et les désastres naturels provoqués par les changements climatiques poussent des peuples entiers à l’émigration et engendrent des guerres fratricides pour l’accaparement des ressources qui ne suffisent plus à nourrir les ventres et les économies. C’est le retour des invasions barbares, des massacres, de l’instabilité, de l’insécurité, de « la peur au ventre » (Maurice Blanchet).
Le scénario optimiste
Dans le scénario optimiste, l’humanité devient raisonnable. Elle prend au sérieux la valeur de la Nature pour sa propre survie. Un peu par compassion, mais surtout parce qu’elle est consciente des dangers que la pauvreté de centaines de millions d’humains fait peser sur l’équilibre du monde, elle entame une lutte intégrée contre les causes de la pauvreté en s’engageant simultanément sur les voies suivantes:
- renforcement des accords multilatéraux, qui deviennent une législation internationale dotée d’une force de mise en oeuvre et contrôlée par l’ONU;
- développement massif et mise en oeuvre des technologies qui permettent une gestion durable des ressources naturelles: énergies renouvelables, produits biodégradables, agriculture biologique, production industrielle 100 % recyclable;
- réduction de la mobilité et augmentation du temps pour les rencontres;
- politique forte de décroissance et de stabilisation de la population;
- généralisation d’une éducation aux valeurs de respect, de frugalité, de tolérance, de solidarité;
- revitalisation et extension des écosystèmes naturels;
- abandon de toutes les dépenses, recherches et activités qui vont dans un autre sens, par exemple le domaine militaire.
Le courage d’être différent
Personne ne peut affirmer lequel de ces deux scénarios sera la réalité de demain. Il y a de fortes chances que cette réalité soit un mélange des deux.
Quelles que soient nos références rationnelles et spirituelles, nous avons la responsabilité de gérer la Création qui nous a été confiée. Il est évident qu’il faut le faire dans le sens du scénario optimiste. Puisque notre société va principalement dans le sens inverse, il faut prendre position, être des témoins d’un ordre nouveau, chercher à convaincre par l’évidence scientifique, par des propositions positives, par une intégration de l’écologie dans tous les domaines d’activité, par le développement d’une philosophie et de valeurs.
« Quand la société s’engouffre dans l’absurde, il faut avoir le courage d’être différent, de nager à contre-courant. »
Dans les difficultés que nous rencontrons, sur le plan privé ou politique, n’oublions jamais la beauté et la richesse de la Nature qui rayonne la joie de vivre, et chaque matin exprimons notre reconnaissance d’en faire partie.